CONVEGNO/LA RELAZIONE DI LIMINSKI

L'indissolubilità conviene anche alla società

L'intervento del prof Liminski sul valore sociale dell'indisslubiilità matrimoniale: "Il matrimonio durevole garantisce clima di fiducia nei legami affettivi. La fiducia è cemento della società. Ogni caso è unico, ma l'indissolubulità ha una portata generale. Minare il principio significa umanizzazione Dio. Le relazioni stabili sono un capitale culturale utile a società e economia"

Pubblichiamo la relazione integrale di Jürgen Liminski, giornalista, saggista, direttore dell’Institute for Demography, Welfare and Family (Germania) dedicato a Indissolubilità del matrimonio, un bene per la società. "Il matrimonio durevole garantisce clima di fiducia nei legami affettivi. La fiducia è cemento della società. Ogni caso è unico, ma l'indissolubulità ha una portata generale. Minare il principio significa umanizzazione Dio. Le relazioni stabili sono un capitale culturale utile a società e economia".

La traduzione in italiano sarà disponibile nei prossimi giorni. 

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Cher Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, chers amis,

Il est difficile de dire quelque chose de nouveau sur le mariage et la famille. Il n’y a point d’autres institutions qui aient marqué, empoigné l’histoire de l’humanité de façon aussi constante que le mariage et la famille. Comme l'a fait remarquer un philosophe français, c'est une bonne chose que d'être original et correct en même temps. Seulement très peu y parviennent et, pour ce qui est du mariage et de la famille, ceci paraît plus difficile. C'est pourquoi je vais essayer d’être plus ou moins correct pendant les prochaines 40 minutes. Mon propos se subdivise en quatre points : primo, le principe socio-anthropologique du mariage ; secundo, le principe conjugal et le Christianisme ; tertio, l'évolution des formes de vie familiale et le mariage chrétien ; et quarto, la persistante compétence clé du mariage et de la famille hier et aujourd’hui.

Primo : le principe conjugal du point de vue socio-anthropologique

En 1955, paraissait le récit ethnologique « Tristes Tropiques » du célèbre anthropologue Claude Lévi Strauss. C’est un écrit programmatique qui a été très lu dans les années 60. Beaucoup des enseignements de Lévi-Strauss sont devenus obsolètes. Ce qui reste d’actualité, c’est sa subdivision générale en verticalité et horizontalité. Selon les verticaux, la société est constituée de familles nucléaires comprenant le mari, la femme et leurs enfants, une sorte de loi naturelle reposant sur un fondement biologique et psychologique. La filiation ou la lignée, l’axe vertical, est le principe vital et régulateur. « Considérée comme institution », écrit Lévi-Strauss, « la famille traduit cette fidélité linéaire qui soude les générations. Source, pour chaque individu, de ses émotions les plus anciennes et les plus profondes, lieu où se forme son être physique et sa personnalité morale, la famille unit par l’amour, l’intérêt et le devoir, des suites plus ou moins longues d’ascendants et descendants. » Il compare les familles à des « fils de chaîne qu'il appartient à la nature d'ourdir sur le métier pour que le tissu social puisse se former. » Pour les horizontaux, par contre, chaque famille provient de l’union de deux autres familles – l’axe horizontal. Les enfants issus de la nouvelle famille se séparent de leur famille d’origine lorsqu’ils créent à leur tour une nouvelle famille. Lévi Strauss : « Ce chassé-croisé perpétuel qui déchire les familles biologiques, les ampute de leurs membres et les assemble pour former de nouvelles familles, crée des réseaux transversaux d'alliances, et les horizontaux y voient justement les lignes de force qui sous-tendent et même engendrent toute organisation sociale».

Ces deux courants de pensée décrivent en fait la nature duelle de la famille. Car, selon Lévi-Strauss, « la famille n’est pas que le produit de nécessités biologiques – procréation, naissance et éducation des enfants –, mais est aussi soumise à des contraintes sociales. Entre la nature et la culture, la famille représente un compromis, tel que chacun peut l’observer au quotidien. » Sans familles, il n’y aurait point de société, mais il n’y aurait aussi point de familles s’il n’existait pas déjà une société.

Cette dualité de la famille mène à un dilemme que le fondateur de l'anthropologie culturelle Edward Burnett Tylor formulait déjà il y a 120 ans comme suit : Either marrying out or being killed out – la nécessité de soit se marier ou d’être éliminé. Il entend par là que si une famille ne veut pas mener une existence anxieuse en tant que petite unité biologique sous la haine et l'hostilité des voisins, elle ne doit pas se fermer, mais plutôt risquer son identité et sa continuité dans le jeu des alliances de mariage. C’est un dilemme qui est toujours d’actualité dans le cadre d’un choc culturel issu des migrations des peuples, même de nos jours. Se marier et se multiplier ou alors se fermer et se soumettre.

C’est le Christianisme qui a délivré l’Humanité de ce dilemme. La science sociale en a reconnu le chemin, même sans surpassement intellectuel. Lévi-Strauss, qui a tout de même vécu cent ans et a succombé à un infarctus en 2009 possédant sa vigueur intellectuelle, s’est demandé toute sa vie s’il existe un modèle de base de famille qui serve de fondement à toutes les sociétés humaines ; quelque dix ans avant sa mort, il a trouvé la réponse à cette question : « Certes, tous rejettent la théorie désormais obsolète qui veut qu’une « promiscuité primitive » ait régné parmi les hommes avant l’apparition de la première famille de l’Histoire. Ils s'accordent même sur le fait que le genre de famille caractérisé par le mariage monogamique, la résidence indépendante des jeunes époux, des rapports affectifs entre parents et enfants, existe aussi bien dans nos sociétés que dans celles restées ou revenues à un niveau technique et économique que nous jugeons rudimentaire. (….) Si l’on considère l’immense répertoire de quatre à cinq mille sociétés sur lesquelles nous sommes différemment informés depuis l’époque d’Hérodote, l’on peut simplement dire que la famille conjugale est manifestement bien fréquente, et partout où la conception de la famille diffère de ce modèle, nous sommes confrontés à des sociétés ayant adopté un mode particulier pour leur développement social, politique, économique ou religieux. »

Les partisans de la promiscuité ou du polyamour (amour pluriel) en tant que témoins-clés du développement humain s'appuient sur ce genre de modes familiaux particuliers propres à des cultures étrangères, comme en Afrique chez les Kuria de Tanzanie où les femmes peuvent épouser des femmes, ou chez les Eskimos avec leur échange de femmes. Mais tout ceci n’est qu’un phénomène marginal, comme le démontre la science. Le citoyen moyen n’est justement pas un Eskimo. Ce qui est plus typique pour l’évolution, c’est le développement dans notre monde occidental. Le terme « famille » livre ici plus de détails. Le mot famille tire son origine du latin « familia » dérivé de « famulus » (serviteur), terme apparu tout d’abord dans la Rome antique. Ça désignait tout d’abord le groupe de serviteurs et d’esclaves vivant sous le même toit, puis la maisonnée entière avec le maître, sa femme – on retrouve ici le principe conjugal naturel – les enfants et serviteurs. Plus tard, par extension de sens, familia est arrivé à désigner les agnati et les cognati, c.-à-d. la parenté par les mâles et les femmes. Le père de famille ou pater familias dans l'Empire romain avait les pleins pouvoirs, sa maison, y compris la vie des nouveau-nés était soumise à son arbitraire.

Au Moyen-Âge jusqu’au début des Temps Modernes, ce que nous comprenons aujourd’hui sous famille était appelé domus, oikia dans la Grèce antique. C’était la communauté de vie incluant le mari, la femme et les enfants, les serviteurs et esclaves, la maison, les terres, la cour, etc. Ce qui était spécifique était moins la vie de clan ou de grande famille que l’unité de vie commune et de coopération. La domus était une unité de production et de consommation, de vie active et de vie privée. C’était une unité socio-économique. Dans sa Politique, Aristote décrit comment les États se constituent des communautés villageoises et des villes, lesquelles sont à leur tour constituées d’oikia, ces communautés domestiques où le maître de maison était en même temps père de famille, chef d'entreprise et chef du personnel, et même juge. Il combinait, pour ainsi dire, les trois pouvoirs publics en une personne. Le politologue et philosophe suisse Martin Rhonheimer décrit cela ainsi : « Les communautés domestiques de l’ère prémoderne étaient de petites sociétés ayant des fonctions économique et sociale. Le pouvoir de protection du maître et sa compétence répressive doivent aussi être expliqués ainsi : car il n’existait pas encore la communauté protectrice juridique de l’État. » En faisait partie l’éducation au sens de formation et enseignement, dans le but de s'intégrer à ce système économique et social. Ces « familia » ou communautés domestiques représentaient donc beaucoup plus que ce nous entendons aujourd’hui par famille. La grosse césure a commencé avec l’industrialisation il y a 260 ans et l’évolution vers la société industrielle avec répartition du travail, où les fonctions de la domus, la formation professionnelle ou plus tard aussi la sécurité sociale furent progressivement reprises.

Dans tous ces modes de vie, de l’Antiquité aux Temps modernes, le mariage monogamique domine comme règle générale ; il n’y avait qu’une seule mater familias, mais les concubines faisaient partie des coutumes. Sur le plan juridique, il régnait donc l’exclusivité et celle-ci découlait du principe conjugal.

2. Le principe conjugal et le Christianisme

À l’exclusivité juridique, le Christianisme a aussi ajouté l’exclusivité biologique, la spécificité des rapports intimes. C’est à cette exclusivité dans son ensemble que Thomas d’Aquin aboutit dans sa Somme contre les Gentils (CG. III chap. 123 n° 6) : « L’amitié, plus elle est grande, plus elle est solide et durable. Or, entre l’homme et sa femme, il semble y avoir la plus grande amitié. En effet, ils s’unissent non seulement dans l’acte de la copulation charnelle,…, mais encore dans le partage de toute la vie domestique. Le signe en est que pour son épouse l’homme doit quitter même son père et sa mère comme il est dit dans Genèse 2, 24. Il est donc normal que le mariage soit absolument indissoluble. » Les papes, en particulier ces 150 dernières années, ont toujours insisté sur cette indissolubilité. Le Pape Benoît XVI parle de « l'unité duelle du couple humain » et de l’indissolubilité du puissant lien établi par le Créateur. » A la lumière de cette doctrine traditionnelle, il faut aussi voir le débat actuel sur les divorcés remariés. Quiconque remet en question l’indissolubilité au nom d’une miséricorde mal interprétée, rend un mauvais service à la constante anthropologique du principe conjugal de la famille et encourage la paganisation du mariage et de la famille.

Ce principe conjugal naturel a été et est, de par la forme, soumis à une mutation sociale, certes. Cependant, le Christianisme a déclenché une puissante révolution culturelle en postulant l'égalité des conjoints et en l’introduisant dans l'Empire romain. Il s’exprimait et s’exprime dans le principe du consensus ainsi que dans l’indissolubilité du mariage.  Les paroles de Jésus dans Mathieu 19, 6 et Marc 10, 9 l’élucident : Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Et : Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas. Le mariage est en substance le noyau de la famille, et le principe conjugal est toujours la base de la famille. Et ceci dans un sens plus large que la définition pâle et instrumentalisée de la famille comme cellule originaire de la société. Les enfants ne sont qu’un fruit de ce principe. Son noyau profond, c’est l’amour. Il donne la vie dans un sens allant bien au-delà de la fonction biologique.

Dans ce contexte, la définition de la famille telle que l’enseigne le catéchisme de l’Église catholique devient intéressante. Son paragraphe 2202 dit : « Un homme et une femme unis en mariage forment avec leurs enfants une famille. Cette disposition précède toute reconnaissance par l’autorité publique ; elle s’impose à elle. On la considérera comme la référence normale, en fonction de laquelle doivent être appréciées les diverses formes de parenté. » Jusqu’ici, on pourrait dire que c’est une définition socio-anthropologique, mais la suite dit ceci : « En créant l’homme et la femme, Dieu a institué la famille humaine et l’a dotée de sa constitution fondamentale. Ses membres sont des personnes égales en dignité.... »

Personnes égales en dignité – ceci est le critère déterminant qui a révolutionné la culture de la famille de l’Antiquité et le principe conjugal, même si cela n’a eu son véritable effet dans notre espace culturel qu’à l’époque moderne. Déjà Paul écrivait que pour les baptisés, « il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme », car tous sont un en Jésus Christ, donc égaux en dignité par le baptême (Ga 3, 28). Le Christianisme ne déduit pas cette dignité égale et cette égalité d’une idée, d’un élan volontariste, mais d’un fait naturel, anthropologique, exprimé par la Genèse : Mâle et femelle il les créa. De cette origine du principe conjugal émanent l’égalité et, par conséquent, le principe de consensus. Le mariage n’est valable que s’il a été librement conclu et par consensus entre les conjoints, cela signifie qu’on se rencontre en tant que partenaires égaux. Il faut bien considérer comme culturellement conditionné le fait que ceci ait été recouvert par d’autres réflexions (protection, fusion des biens, perspectives d’héritage, etc.) jusqu’aux Temps modernes, et que le consensus émotionnel se réglait même souvent pendant la vie maritale. Les sociétés étaient façonnées de manière féodale et paternaliste. Comme toujours, il est stipulé au plus tard depuis le Concile Vatican II que « le consensus doit être un acte de la volonté de chacun des contractants, libre de violence ou de crainte grave externe ». Ainsi est-il formulé dans le paragraphe 1628 du Catéchisme et suivants : « Aucun pouvoir humain ne peut se substituer à ce consensus. Si cette liberté manque, le mariage devient invalide ».

Le mariage d‘amour comme « acte humain libre par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement », comme il est dit dans Gaudium et Spes (GS, 48,1), est relativement récent. À l’époque de Martin Luther ou du Concile de Trente, le mariage était un moyen de contrôle social et sa conclusion était souvent déterminée par des considérations économiques. Le mariage d‘amour a commencé à s’appliquer les deux derniers siècles avec la dissolution de l’État corporatif, les mutations socio-économiques qui ont mis une distance considérable entre le lieu du travail et la famille et donc le domicile de cette dernière, puis aussi avec l'avènement des modes de vie individualistes et des mouvements émancipatoires. À l’époque d’un certain Adam Smith, il était interdit aux jeunes femmes d’aller à l’Université ; depuis le semestre d’hiver 1996/97, plus de femmes que d’hommes s’inscrivent dans des instituts d'enseignement supérieur en Allemagne. Aujourd’hui, les Universités et les écoles supérieures sont des foires matrimoniales par excellence. La relation personnelle et privée qui est censée remplir les désirs émotionnels et sexuels est devenue la motivation principale pour se marier, l’individualisme a remplacé la motivation surtout économico-sociale : la communauté d'intérêts. De nos jours, le mariage d’amour est devenu la norme dans cette époque de dissolution des milieux sociaux classiques. Le mariage passe pour être l'ultime refuge de l'intériorité.

Le mariage chrétien joue un rôle particulier dans cette évolution, pas seulement pour la dignité de l’homme et de la femme, mais aussi pour le sens civique et l’amitié, les principes vitaux pour une société solidaire. Plus à propos dans un instant. Mais tout d’abord, encore quelques idées sur le mariage. Les papes du siècle dernier parlent de la différence complémentaire de l’homme et la femme vivant leur unité dans le mariage. Pour le cas du mariage, il s’agit en ce sens de l’amitié de la vie. Le mariage est, comme le formule Paul VI, « la forme d'amitié personnelle la plus intime et la plus complète ». Le précédant, le pape Léon XIII avait qualifié le mariage de la « plus grande communauté et amitié ». On peut désigner cela comme le point culminant du principe conjugal, car c‘est le même pape qui, dans sa célèbre encyclique sociale Rerum novarum écrivait en 1891 : « Contre la nature, tous les efforts sont vains. » Déjà ici, le principe naturel et la doctrine du mariage s'influencent. C’est comme un morceau de charbon ardent. Le charbon est présent et est animé de façon ardente par la doctrine. Benoît XVI formule cela de la sorte : « Le sacrement du mariage n‘est donc pas une invention de l’Église, il a réellement été "co-créé" avec l’Homme en tant que tel, en tant que fruit du dynamisme de l'amour, dans lequel l'homme et la femme se trouvent mutuellement et trouvent ainsi également le Créateur qui les a appelés à l'amour. » Au sein du mariage valablement conclu, le conjoint est, pour ainsi dire, le sacrement personnifié. L’on pourrait aussi dire : la vocation au mariage s’est faite chair en le conjoint. Gertrud von Le Fort l’exprime magnifiquement dans son roman La Couronne des anges, lorsqu‘elle décrit l’amour de la croyante Véronique pour le mécréant Enzio et incorpore la vocation au mariage dans les paroles désespérées de Véronique : « Enzio, tu es toi-même l’appel de Dieu pour ma vie. »

D’après ces idées, il apparaît tout à fait naturel que le Code du Droit canonique invoque « le bien des conjoints » comme l’un des deux devoirs principaux du mariage. C’est en quelque sorte le summum du principe conjugal et du principe du consensus. Ce bien commun dans l‘amour englobe la nature de l‘homme. Tout le monde ne connaît peut-être pas cela, mais il existe l'affinité d'âme, l’unité dans l'Esprit. La comunio personae du mariage ne contredit en aucun cas les différences des personnes. La manière dont on vit et gère cette différence avec ses fonctions correspondantes constitue une partie de la culture. En d’autres termes : qui sape le principe conjugal universel, succinctement dit, qui voit ou nie simplement cela comme phénomène marginal du développement humain, renie la nature humaine. Et c’est bien ce que fait l'idéologie du genre, par exemple.

La nature du mariage pénétrée par la flamme chrétienne a un fondement, c’est l'indissolubilité. « Jusqu'à ce que la mort vous sépare », dit la liturgie du mariage. Quiconque remet ce fondement en question, doute du pouvoir de l’amour. Saint Jean de la Croix décrivait l’amour comme une force de divinisation, comme un « endiosamiento ». L’amour envers le conjoint est une vocation concrétisée, le conjoint en personne est un appel de Dieu. L’appel de Dieu ne reste pas sans écho tant que l’on vit. C’est pourquoi l'indissolubilité trouve son fondement même en Dieu. Elle est la réponse à l’appel du Créateur. Évidemment, l’homme est faible, mais Dieu ne l’est pas. Évidemment, chaque cas est unique, comme tout être humain, et nécessite une réponse adéquatement unique. Ceci est le devoir de la pastorale. Mais, le principe a une portée générale. Il assure l’identité dans l’amour, l’unité avec Dieu. Il mène à la divinisation de l’homme, l’endiosamiento. Mais alors, saper le principe mène au piège de l’humanisation de Dieu. Beaucoup dépend donc de la clarification de cet engagement, ce but, cet appel aux jeunes fiancés : Seulement toi et pour toujours.

Cet idéal chrétien du mariage semble être un but trop ambitieux pour certains théologiens, sociologues et agents pastoraux. Il n'importe pas de le réaliser entièrement chez chaque couple. L’être humain est un pèlerin sa vie durant. Tant qu’il vivra, il se penchera sur son existence et sur la réalisation de l’idéal. Ce qui est déterminant, c’est la disposition au pardon. Dans une nouvelle de l’écrivain chrétien Werner Bergengrün, le héros de l’histoire le formule ainsi dans un dialogue avec sa dulcinée : « Chacun a sans doute sa part de faute. Et l’amour se manifeste aussi dans la fidélité. Mais, elle s’accomplit dans le pardon. » Le mariage chrétien est très exigeant et il me semble que ces deux vertus, la fidélité et le pardon, devraient être intensément examinées lors de la préparation au mariage. De tous les temps, elles ont toujours été nécessaires. Mais rarement si urgemment nécessaires qu'elles ne le sont aujourd’hui. Nous arrivons ainsi au point 3 :

3. L'évolution des formes de vie familiale et le mariage chrétien

Pour les jeunes adultes d’aujourd’hui, se marier n’est plus aussi évident que cela l’était pour leurs parents. De longues périodes de formation, des perspectives d'emploi incertaines, la mobilité exigée particulièrement par les employeurs, la fragilité des relations et beaucoup d’autres tendances compliquent aujourd’hui la décision de se marier. Malgré ces obstacles, le mariage reste le mode vie le plus répandu en Allemagne. Comme l’indique le microrecensement, près de 90 % de tous les couples vivant en ménage commun étaient mariés. Aujourd’hui encore, trois couples sur quatre vivent dans le mariage. Ils ne sont pas toujours en premier lieu et, bien sûr, pas mariés à l'église. Mais, cela montre la grande importance du mariage, l’importance naturelle, pourrait-on dire. Le principe conjugal est profondément enraciné dans le cœur des êtres humains. La plupart de ces mariages durent aussi longtemps : environ deux tiers des mariages en Allemagne se terminent par la mort du conjoint. Tous ces chiffres sont des données officielles de l'Office statistique fédéral allemand.

Le fait que tant de gens optent toujours pour le mariage, en dépit de toutes les incertitudes, est bien fondé : de nombreuses études effectuées dans divers pays démontrent que la vie dans le mariage procure des avantages concrets aux deux conjoints : les hommes et femmes mariés ont en moyenne une espérance de vie plus longue, un meilleur état de santé, une situation des revenus plus avantageuse et une satisfaction plus grande de la vie. Le facteur clé de ces effets est, à n'en point douter, l'attention mutuelle et le soutien social quotidiens, en particulier en cas de maladie et de besoin de soins. C’est pourquoi beaucoup de chercheurs dans le domaine de la santé voient le mariage comme la « forme la plus approfondie de soutien social » ou la « relation par excellence ». Le fait que le mariage est une institution durable et fiable y joue un grand rôle. L'engagement réciproque pris par le lien du mariage pour toute la vie crée un climat de confiance. Cette confiance permet des investissements de long terme dans l’avenir. Ces investissements se sont révélés en général « payants » – comme « return on investment » pour les conjoints et comme « effets externes » pour la collectivité. L’effet « externe » le plus significatif du mariage pour l’avenir de la collectivité, c’est les enfants : plus de 85 pour cent des couples mariés (depuis longtemps) ont des enfants. Par contre, seuls quelque 20 pour cent des couples non mariés ont une progéniture. Le mariage entre l’homme et la femme assure ainsi l’avenir de la communauté à travers l’éducation des enfants. L'union conjugale favorise l’option pour les enfants. Comme le démontre l'enquête sur la famille de l’Institut allemand de la jeunesse (DJI), les gens ayant beaucoup de frères sont nettement plus souvent mariés comparés aux enfants uniques. Qui a plus de frères et de sœurs, a plus souvent grandi avec les deux parents biologiques mariés. Un mariage durable des parents ne garantit pas seulement une certaine stabilité extérieure, mais permet aussi de « vivre un climat de confiance dans des liens affectifs étroits ». De nombreuses études soutiennent ces constatations ou expériences.

Que représente cela pour la société ? La confiance est la monnaie de la vie. Fiabilité et proximité émotionnelle – qui vit cela en tant qu’enfant dans sa famille et plus tard en tant qu’adulte dans son propre foyer, fait plus facilement confiance, non seulement à son conjoint, mais aussi à d’autres personnes et institutions de la collectivité.  La confiance est le plus important « mastic » pour la société d'économie avec répartition du travail ainsi que pour la démocratie pluraliste. Mais, dans l'opinion publique, les rapports entre mariage, enfants, fiabilité et bien commun restent occultés ou ne sont pas réellement mis en évidence.

Le mariage et la famille créent les conditions que l’État ne peut pas créer, mais dont il vit (Böckenförde). Par exemple, le sens de la solidarité et de l’amour du prochain. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Loi fondamentale allemande place le mariage et la famille sous la protection particulière de l’État, car, écrit la sommité de la recherche sur les familles Heinz Lampert, la famille produit de la solidarité d’une qualité et efficacité qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans la société. Le mariage profite à l’État. Les relations stables réduisent non seulement les risques de pauvreté et de maladie, elles aussi stabilisent l’État même. Pour cela, s’agissant du mariage, les experts parlent aussi d’un « capital culturel ». Ce capital renforce les systèmes sociaux et l’économie. Par ces temps de pensions instables et d’autres risques croissants dus à l'évolution démographique, le mariage est une assurance-vie particulière. Elle crée un cadre dans lequel peuvent croître non seulement les émotions, mais aussi duquel résulte la stabilité pour la collectivité.

Ceci a lieu dans une époque frénétique où non pas la vie, mais plutôt le travail a une importance prioritaire. Mais, les relations personnelles ont besoin du temps. Ceci vaut aussi bien pour le petit enfant que pour les adultes. Si on n’a pas du temps pour l’un l’autre, la relation risque de s’évaporer. Lorsque la carrière prend le dessus, le mariage peut être menacé. À Wallstreet et à la Silicon Valley où, comme le dit Edward Luttwack, le turbo-capitalisme sévit et absorbe le temps des gens, le taux de divorce dépasse cent pour cent, puisque beaucoup y divorcent plusieurs fois. La raison : là-bas, le boulot monopolise le temps et le stress y bat tous les records. Le bloc à double noyau mariage et famille n'est pas un garant de la stabilité, mais un cadre social dans lequel la stabilité peut prospérer et les influences externes s’épanouissent, pour autant que la valeur de ces institutions soit aussi reconnue socialement et politiquement.

Une stabilité encore plus élevée résulte d’une autre combinaison : le mariage et la religion. Selon une étude américaine antérieure, un mariage uniquement civil sur deux s’est disloqué, contre un mariage religieux sur trois, et seulement un couple sur cinquante mariés à l’église et allant ensemble à la messe. Chez les couples mariés religieusement et priant aussi ensemble, seul 1 mariage sur 1429 se disloque. On pourrait donc en déduire que le capital culturel possède aussi une dimension qui promet, pour ainsi dire, une stabilité « éternelle ». Mais l’étude en question n'est pas très différenciée et sa valeur est obtenue d’études récentes plus approfondies. Des sociologues de l’Université d’Auburn dans l’Alabama ont constaté en 2004 que la religion pratiquée et le rattachement à l'Église entrent également en ligne de compte. Une diversité excessive peut aussi nuire au mariage. Les chercheurs ont comparé les données du microrecensement américain avec celles de 621 districts de tous les 50 États de la Fédération. Ce qui est décisif pour la réussite d’un mariage, c’est le « religious makeup of a community » – donc, la structure religieuse d’une communauté, pas seulement la religiosité du couple. Là où les gens vivent dans des cadres religieux relativement homogènes (relatively homogeneous religious settings), on y compte nettement moins de divorces.

L’évolution de la société moderne a exercé, de façon générale, un effet négatif ces deux cents dernières années sur le premier habitat de l’homme, sur le mariage et sur la famille. L’État a assumé les fonctions de sécurité sociale, par exemple pour la prévoyance vieillesse – c’est Bismarck qui a instauré la retraite –, ou l'assurance maladie et les soins – les premières caisses maladie étaient des caisses d'entreprise en Angleterre. Ce changement structurel socio-familial a aussi bien atteint de grands pays comme la France, l’Angleterre et l’Allemagne. Il a eu et a des répercussions sur les structures relationnelles. Une conséquence en est la perte d'importance du mariage et de la famille en tant qu’institution essentielle de la vie commune. Les sociologues parlent ici de la « pluralisation des modes de vie privés » (Franz Xaver Kaufmann) et de la « perte de monopole de la famille » (Bertram). Dans les années 90, Dahrendorf parlait déjà du double visage de l’ère moderne, le sociologue zurichois François Höpflinger évoque, quant à lui, la coexistence des formes traditionnelles et modernes de vie familiale comme principale caractéristique de la situation actuelle des familles en Europe.

La vie familiale en Europe se caractérise aujourd’hui par cette concomitance entre le changement et la continuité.  Entre autres similitudes, on note que partout, le marché des célibataires est en plein boom, les courbes de croissance des surgelés grimpent sans cesse, le nombre de divorces augmente, (graphique I) surtout en Europe du Sud, ou stagne à un niveau élevé - actuellement, cela semble même régresser, ce qui est bien sûr lié au nombre infime de mariages. Mais partout, le nombre d’enfants nés hors mariage connaît une augmentation exponentielle. On peut remarquer ici une différence intéressante qu’a analysée le géo-démographe Dr. Gérard-François Dumont. (Graphique II) Tout d’abord la hausse en Europe : en 1990, 17,4 % des enfants étaient nés hors mariage dans l’UE ; dix ans plus tard, ce taux est passé à 27,4 % et, encore dix ans après, il a atteint 37,4 %. Toutefois, ces chiffres varient fortement d’un pays à l’autre : en Grèce, on a 6,6 %, en Suède 54,4 % et en Estonie, il arrive même à 59,2 %. Dumont a mis les chiffres en relation avec le taux de naissance et voici le résultat : là où ces naissances ne posent aucun problème social, non seulement le nombre de naissances hors-mariage, mais aussi le taux de naissance dans l’ensemble sont supérieurs à la moyenne européenne, c.-à-d. en France, en Grande-Bretagne, en Belgique, au Danemark, en Finlande, en Suède, aux Pays-Bas. En Irlande catholique où on enregistre le taux de naissance le plus élevé de l’UE, on a un cas exceptionnel : le nombre de naissances hors-mariage se situe à peu près dans la moyenne européenne. Bien sûr, cette relation ne doit pas être considérée sur une seule cause, car l’on tient compte d’un certain nombre d’autres critères et normes pour le taux de naissance ou le comportement génératif. On peut toutefois affirmer avec certitude que l’acceptation sociale des naissances hors-mariage a une influence généralement positive sur le taux de naissance.

Que peut-on en déduire pour l'attitude à l'égard du mariage ? Certes, plus de 90 % de tous les couples mariés vivaient déjà ensemble avant les noces et le nombre de couples vivant ensemble sans acte de mariage croît régulièrement. Il y a vingt-cinq ans, ils représentaient 5,8 % de tous les couples en Allemagne ; aujourd’hui, ils sont deux fois plus nombreux. Cependant, on ne peut en déduire une fin de la famille ou du mariage, comme le font de nombreux médias. Graphique III Le microrecensement en Allemagne dit : plus de sept couples sur dix vivent en communauté conjugale. Tous ne sont pas en premier mariage, ni n’ont tous d’enfants, mais trois enfants sur quatre vivent dans ces familles. La soi-disant famille traditionnelle est plus vivace que la représentation médiatique veut bien nous le faire croire. La montée des partenariats non matrimoniaux est réelle, mais la majorité d’entre eux est nettement différente. 

4. La compétence clé du mariage et de la famille

Et j’en viens au dernier point qui sera plus concis. Le désir d’une famille, de fiabilité et de fidélité, d’un abri pour protéger l’intimité contre les changements culturels et de structures sociales est ininterrompu. La famille a cédé plusieurs devoirs à l’État et se limite de plus en plus à la procréation, à la socialisation des enfants et à l’entretien des relations et émotions intrafamiliales, certes. L’entretien de ces relations sentimentales est aujourd’hui sa compétence clé, toutefois. L'État ne peut pas s’en occuper. Créer et gérer les relations intrafamiliales constitue aussi la base pour la formation du capital humain. C’est le produit de cette compétence clé. En quoi consiste donc cette compétence clé concrètement ? Qu’est-ce que ce capital humain qui ne peut être créé qu’au sein de la famille ?

Le capital humain représente les aptitudes fondamentales de l’homme. Ça consiste à pouvoir apprendre, à pouvoir coexister, à avoir de la persévérance, à chercher des solutions au lieu de se lamenter, à reconnaître et mettre de l'ordre dans les sentiments, à faire confiance sans être naïf, à être doté d'une sensibilité linguistique, à avoir une capacité de liaison, à être solidaire, à maîtriser les problèmes quotidiens - c’est la compétence sociale et l’aptitude à contrôler l'intelligence émotionnelle et bien d'autres caractéristiques de base encore. C’est même bien plus que des connaissances factuelles. Le Prix Nobel américain Gary Becker, économiste néolibéral, image IX qui a introduit le concept de capital et de potentiel humain en économie et a été primé pour cela, a déclaré ceci lors d’un congrès en 2002 à Berlin : « Le capital humain fondamental est créé au sein de la famille. L’école ne peut remplacer la famille. »

Ce n’est donc qu’une question de transmission de valeurs, pourrait-on dire. Les valeurs ne peuvent-elles pas être aussi transmises aux enfants dans le monde du travail, dans la société par des éducateurs professionnels ? Non. Car la société, comparée à la famille, est un collectif sans visages. Elle est un ensemble d’objets sans nom, elle ne produit ni amour, ni solidarité, mais elle vit de ça. Comme ensemble d’objets, la société est aussi soumise aux mutations du monde du travail. Il y a encore 40 ans, selon le sociologue américain Fitzhugh Dodson, « les pères préparaient leurs fils à une vie d’adulte qui était très similaire à la leur. Mais, notre culture change à une vitesse telle que ceci n’est plus faisable. On sait que sur cent enfants qui jouent aujourd’hui dans une cour d’école, cinquante exerceront des métiers qui n’existent même pas encore. Les pères ne peuvent donc pas du tout préparer ces enfants à une vie semblable à la leur. Le changement social va à pas de géants. » Fin de citation. La relation personnelle, par contre, reste constante. Elle ne se définit pas par ce que l’autre a - argent, biens, idées -, mais plutôt par ce qu’il est : père, fils, mère, fille, ami - tous les gens, les visages avec noms. Pour elle, on vit la solidarité.

Le sens civique, la tolérance, la sincérité, la fidélité, la serviabilité, la solidarité, la responsabilité – toutes vertus dont vivent la société, l’État et l’économie. La famille constitue une base solide pour la socialisation de la personne, elle est le giron intellectuel pour s'intégrer dans la société. L'attention, les émotions, l’amour – il ne s’agit pas ici de sensiblerie. La recherche sur le cerveau et l’attachement nous enseigne que les émotions sont, pour reprendre les mots du psychologue du développement et pédiatre Stanley Greenspan, image X les « architectes du cerveau », qu’elles stimulent la croissance du cerveau chez le bébé, que la stabilité émotionnelle favorise la formation de câbles neuronaux. Lorsque la stabilité émotionnelle est engendrée par la tendresse et l’affection amicale, de sorte que l’enfant sorte de soi et accumule de l’expérience, des synapses germent dans le cerveau et le bébé apprend ainsi. Les chercheurs dans le domaine du cerveau et de l’attachement, les psychologues du développement et les pédagogues affirment que l’attachement précède l’éducation. En d’autres termes : l’affection, la douceur, le temps – les trois valeurs de Pestalozzi – créent les conditions permettant plus tard à l’enfant d’apprendre, de savoir travailler en équipe, donc d’avoir une compétence sociale, de se concentrer et d’être persévérant et ainsi travailler, d’être novateur, de pouvoir mettre de l’ordre dans ses sentiments et être ainsi raisonnablement solidaire. Les experts appellent cela l'intelligence émotionnelle. L’attachement est la substance de laquelle le capital humain est formé, l’attachement précède l’éducation, un attachement réussi entraîne une pleine dignité humaine. La compétence clé de la famille est de nature existentielle. Elle a besoin de fiabilité, elle a besoin de durée. Le mariage indissoluble offre le meilleur cadre pour cela.

J’en arrive à la conclusion. Ce qui est décisif dans toutes ces questions, c’est de savoir si l’on suit le nihiliste pratique Jean Paul Sartre, l'ancêtre des mouvements de 68, qui a affirmé que « la nature de l´homme n’existe pas », ou si on est par contre convaincu qu’il y a une nature humaine, un plan directeur qui représente beaucoup plus qu’un hasard évolutionnaire. Ce plan directeur a une matrice : l’amour. Il crée la confiance originelle, l’ADN du capital humain ; on pourrait aussi dire d’une manière plus pâle l’humanité. Et il justifie l’égalité. Ce potentiel repose dans la famille. C’est pourquoi l’éducation est aussi un cadeau empreint d’humanité. Ainsi définissait Jean Paul II l’éducation. C’est pourquoi la famille est aussi « le cœur de tout ordre social », comme disait Benoît XVI, ou « le chef d'œuvre de Dieu », comme a affirmé le Pape François.  C’est pourquoi la famille précède toute autorité publique ou religieuse. C’est pourquoi aucun État ne peut se constituer sans elle, du moins aucun État solidaire, aucun dans lequel l’amitié fait office de lien social, comme l’affirme Aristote. Image XI. Elle, l’amitié, est ce qu’il y a de plus nécessaire dans la vie, expose-t-il dans L’Ethique à Nicomaque ; on pourrait ajouter : elle trouve son chez-soi dans le mariage et la famille, même de nos jours.

Vous avez été bien patients. Merci pour votre attention.

*Direttore dell’Institute for Demography, Welfare and Family